Samuel Butler

Erewhon

Gallimard - L'Imaginaire, 71

Paris, 2005
bibliothèque insulaire
   
utopies insulaires
Nouvelle-Zélande
parutions 2005
Erewhon / Samuel Butler ; traduit de l'anglais et préfacé par Valery Larbaud. - Paris : Gallimard, 2005. - 318 p. ; 19 cm. - (L'Imaginaire, 71).
ISBN 2-07-022212-8
Ils tiennent que le devoir de tout homme est de penser comme ses voisins, …

Les Collèges de Déraison (Suite), p. 225

Né dans l'Angleterre victorienne, Samuel Butler (1835-1902) ne partageait pas les convictions régissant la vie d'une majorité de ses compatriotes, de son père en particulier. Peu après avoir achevé ses études, il s'embarque pour la Nouvelle-Zélande où durant quelques années il élève des moutons — non sans succès — sur un domaine qu'il nomme Mésopotamie, entre deux affluents de la rivière Rangitata. Cette expérience lui fournit la trame des premiers chapitres d'Erewhon, un récit utopisant où, dans la lignée de Swift, il se livre à une critique acérée de la société britannique.

Le narrateur, qui comme l'auteur a traversé les océans pour arriver aux antipodes et y trouver un emploi dans une station d'élevage, a soif de découvrir ce que dissimulent les montagnes qui paraissent interdire l'accès au cœur de l'île. L'approche se révèle longue et périlleuse, mais au terme d'un parcours éprouvant le porte-parole de Butler découvre une société vivant de très longue date en complète autarcie.

L'auteur semble alors se détacher du fil romanesque pour privilégier l'examen des caractéristiques déconcertantes qui régissent l'existence de cette communauté. Trois chapitres sont consacrés à la transcription d'un de leurs traités fondateurs — Le Livre des Machines 1 ; deux chapitres tentent de décrypter leurs croyances relatives à la naissance — Le monde des non-nés ; ailleurs est exposée leur conception de la justice — Quelques procès érewhoniens ; ailleurs encore leurs pratiques commerciales — Les Banques musicales ; ailleurs l'enseignement — Les Collèges de Déraison.

Comme Swift avant lui, Butler souligne les travers de la société de son temps. Mais l'ironie et la satire se doublent ici d'une singulière prescience. Les contemporains de l'auteur ont pu rire à bon compte du spectacle de leurs incohérences révélées comme par un miroir grossissant ; un siècle plus tard l'indulgence amusée n'est plus de mise tant la réalité semble avoir pris d'avance sur les pronostics les plus sombres : “ notre esclavage s'approchera de nous sans bruit et à pas imperceptibles ” (p. 262).
   
1.On trouve le germe de ce chapitre dans une lettre de l'auteur (signée Cellarius) au rédacteur en chef du quotidien The Press de Christchurch (N.Z.) en date du 13 juin 1963 [en ligne].
EXTRAIT    « Sans doute, en se plaçant à un point de vue matérialiste et bas, il semblerait que ceux-là réussissent le mieux qui se servent des machines partout où leur emploi est possible et rémunérateur. Mais c'est là précisément la ruse des machines : elles servent afin de commander. Elles ne gardent aucune rancune à l'homme lorsqu'il anéantit une de leurs races du moment qu'il en crée une meilleure ; au contraire elles le récompensent avec libéralité d'avoir hâté leur développement. C'est lorsqu'il les néglige qu'il s'attire leur colère, ou lorsqu'il emploie des machines inférieures, ou lorsqu'il ne fait pas d'efforts suffisants pour en inventer de nouvelles, ou qu'il les détruit sans les remplacer. Et pourtant c'est là justement ce que nous devrions faire, et nous hâter de le faire, car encore que notre révolte contre leur pouvoir naissant doive nous causer des souffrances infinies, où irons-nous si nous remettons cette révolte à plus tard ?

   « Elles ont exploité l'ignoble préférence de l'homme pour ses intérêts matériels sur ses intérêts spirituels, et elles l'ont traîtreusement induit à leur fournir cet élément de lutte et de guerre sans lequel aucune race ne peut prospérer. Les animaux inférieurs progressent parce qu'ils luttent entre eux ; les plus faibles meurent, les plus forts se reproduisent et transmettent leur force. Les machines, étant par elles-mêmes incapables de lutter, ont pris l'homme pour se battre à leur place : tant qu'il fait bien son devoir, il ne risque rien (du moins, c'est ce qu'il s'imagine) : mais dès qu'il cesse de se sacrifier complètement au progrès des machines, c'est-à-dire s'il encourage les bonnes et détruit les méchantes, il est laissé en arrière dans la course de la concurrence industrielle, et cela signifie pour lui qu'il se prépare beaucoup d'ennuis de toutes sortes, et peut-être, qu'il va périr. »

Le Livre des Machines, pp. 245-246
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Erewhon, or Over the range », London : Trübner, 1872
  • « Erewhon, ou De l'autre côté des montagnes », Paris : La Nouvelle Revue Française, 1920 ; Paris : Gallimard (L'Imaginaire, 71), 1980
  • « Nouveaux voyages en Erewhon accomplis, vingt ans après la découverte du pays, par le premier explorateur et par son fils » éd. et trad. par Valery Larbaud, Paris : La Nouvelle Revue Française, 1924 ; Gallimard (L'Etrangère), 1994
  • « Détruisons les machines » trad. par Marine Girot et Pierre Thiesset, Vierzon : Le Pas de côté, 2013
  • « Darwin parmi les machines, et autres textes néo-zélandais » éd. et trad. par Thierry Hoquet avec une postface de Romain Sauzet, Paris : Hermann (L'Evolution des machines), 2014

mise-à-jour : 7 janvier 2020

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