BRUNO FULIGNI : Le Cratère, de
James Fenimore Cooper, est un classique de la robinsonnade. Transportant
sur une île lointaine le mythe américain de la frontier,
il met le jeune marin Marc Woolston et son matelot Bob aux prises
avec une nature sauvage, hostile, qu'il faudra domestiquer. L'action
se déroule dans le Pacifique, mais Cooper, pour l'île,
s'est directement inspiré de Julia [ou Graham's island,
île intermittente d'origine volcanique émergée
pour la première fois en 1831 au sud de la Sicile].
[…]
L'îlot qui recueille les
deux héros du roman a plus qu'un air de famille avec Graham's
island : « Le roc sur lequel ils marchaient
était nu, et d'une formation particulière. En l'examinant
de près, ils reconnurent que ce n'était pas un
banc de corail, mais que son origine était purement volcanique.
L'aridité, la nudité en étaient les deux
traits distinctifs (…). La solitude et la désolation
de ces tristes bords n'étaient interrompues que par les
troupes d'oiseaux qui venaient voler sur leurs têtes, et
qui montraient par leurs cris et par leur audace que la vue d'un
homme était quelque chose de nouveau pour eux ».
Sur cette terre difficile, Marc
et Bob vivent d'abord un grand bonheur homosexuel et pastoral.
Certains passages scabreux du roman les montrent mêlant
des excréments de diverses provenances pour féconder
l'île, dont ils brisent l'écorce de tuf pour remuer
son sous-sol cendreux
[…]
L'île Julia, au fond, est
bien plus qu'une île : c'est un fantasme, une vision,
la terre primordiale que chacun voudrait façonner, comme
la divinité créatrice a façonné l'homme.
C'est cette nature originelle
que tentent de s'approprier les héros de Fenimore Cooper.
Quand Bob est emporté par l'océan, Marc Woolston
continue seul son travail de « Robinson américain ».
Il en est récompensé par la providence, puisque
l'île s'exhausse considérablement, devenant un vaste
archipel irrigué par de nombreuses sources d'eau douce.
Bob, alors, revient : rescapé
de la tempête, il est retourné aux États-Unis,
d'où il ramène un petit peuple de colons que Marc
Woolston va gouverner sous un régime idyllique et patriarcal.
[…]
L'arrivée d'un homme de
loi, d'un imprimeur et de quatre prêtres rompt bientôt
cette belle harmonie. Le démon de la politique s'introduit
dans l'Eden. Les jalousies, les dissenssions, les haines se donnent
libre cours, attisées par l'esprit de parti. Marc Woolston,
évincé de son commandement, est contraint de quitter
l'île. Quand il revient, le châtiment s'est abattu
sur la petite société pervertie : l'île
s'est abîmée sous les eaux …
☐ « L'île
à éclipses », Paris : Les Éd.
de Paris, 2003 (pp. 86-88)
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « The
crater, or Vulcan's peak : a tale of the Pacific », New
York : Burgess, Stringer & Co., 1847
- « Le
cratère, ou Marc dans son île », trad. par
A.-J.-B. Defauconpret, Paris : Passard, 1852
| - « Les
lions de mer, ou le naufrage des chasseurs de veaux
marins », La Rochelle : La Découvrance, 2008
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