Aventures d'Arthur Gordon Pym /
Edgar Allan Poe ; traduction de Charles Baudelaire ;
présentation de Jacques Perret. - Paris : Le Livre
de poche, 1966. - III-245 p. ; 17 cm. -
(Livre de poche, 484).
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“ Mon
père était un respectable commerçant
dans les fournitures de la marine, à Nantucket,
où je suis né. ” Ces simples mots
évoquent, s'ils n'en épuisent ni
la matière ni le charme,
l'épopée baleinière qui a rendu
célèbre dans le monde entier la petite
île du Massachusetts.
Melville
également avait saisi, et parfaitement restitué,
l'impérieuse séduction contenue dans ce seul
nom :
Nantucket ! Toutes les îles du monde sont
à portée
de rêve …
Un rêve qu'à l'époque
pouvaient tenter d'aborder ceux que ne rebutaient pas les rudes conditions de vie
et de travail à bord des navires
baleiniers. De
Nantucket on s'embarquait pour les Samoa ou les Marquises
— Typee ! —,
pour les îles Chatham, les
Aléoutiennes, ou encore pour les Kerguelen, au
large desquelles va croiser la Jane Guy.
Cette navigation vers le Sud
suit, jusqu'à un certain point, les
routes déjà parcourues par des marins de
renom — au premier rang desquels, le capitaine Cook (en 1772,
à bord de la Resolution). Mais ce sont
surtout les premiers navigateurs américains qui ont nourri
l'imagination d'Edgar Poe ; en particulier Benjamin Morrell
dont le récit date de 1832 : “ A
narrative of four voyages to the South sea, North and South
Pacific ocean, Chinese sea, Ethiopic and southern Atlantic ocean,
Indian and Antarctic ocean, from the year 1822 to
1831 ”.
Lecteur attentif, Poe
s'était ainsi familiarisé avec le vocabulaire
nautique et, plus généralement, avec la
tonalité propre aux relations de voyages au long cours. Le
récit des aventures d'Arthur Gordon Pym y gagne une
crédibilité qui rehausse l'atmosphère
d'inquiétante étrangeté dont sont
imprégnés les derniers épisodes, une fois outrepassées les limites
atteintes par les précédents explorateurs. C'est
alors qu'apparait une île où, une fois
débarqués, les membres de l'expédition
iront de surprise en surprise :
“ A
chaque pas que nous faisions dans le pays, nous acquérions
la conviction que nous étions sur une terre qui
différait essentiellement de toutes celles
visitées jusqu'alors par les hommes civilisés.
Rien de ce que nous apercevions ne nous était
familier ” .
L'auteur exprime le souhait qu'on tienne le
récit d'Arthur
Gordon Pym pour une relation de voyage authentique et
inachevée — s'ouvre ainsi la voie à
d'innombrables
tentatives d'élucidation, de détournement ou de
prolongement. Jules Verne inscrit Le
Sphinx des glaces
(1897) dans cette lignée ; plus tard Pierre Mac
Orlan
proposera un épilogue implacable à
l'œuvre
énigmatique :
(…)
Au
delà de l'éternel horizon de glace, le
pôle
attirait Boguet. L'eût-il voulu, il n'était plus
temps
pour lui et son dernier compagnon de revenir en arrière.
Comme
la pirogue d'Arthur Gordon Pym, Boguet poursuivait son destin.
Avec
son compagnon, qui n'était pas même un ami, et que
l'on
nommait Ploedac, il marchait vers ce que les géographes
appellent le Pôle.
Les
deux hommes ne se plaignaient pas ; ils marchaient
péniblement, rongeant chichement leurs dernières
provisions. Ils ne marchaient pas vite. Mais Boguet allait droit devant
lui parce qu'il ne pouvait pas faire autrement.
Un
jour sans nom, Ploedac mourut et Bosquet laissa l'aventurier sur la
neige, comme une loque noire. Il fit quelques pas. Autour de lui la
neige brillait, scintillait ; des millions et des millions de
gouttelettes de rosée dansaient devant ses yeux. Il
entendait
que son cœur poussait son sang dans sa tête
à grands
coups de pompe, comme un manœuvre imbécile qui ne
se
rendrait pas compte de la fragilité de son crâne.
Il
comprit enfin dans un éblouissement qu'il allait mourir, et
il
se traîna à genoux, en rampant, plus loin, en
avant, vers
le Pôle, le grand Pôle littéraire aussi
peu
scientifique que possible, d'où A.-G. Pym
n'était, en
somme, jamais revenu. Et Boguet mourut à dix
mètres de
Ploedac, plus près dans la direction du Sud.
Alors,
avec la mort des deux derniers hommes, le paysage reprit son aspect
véritable, que personne ne peut décrire puisqu'il
n'existe dans la réalité que
débarrassé de
tout élément importun.
— Pierre
Mac Orlan, Le Grand Sud.
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE |
- Edgar Allan
Poe, « The narrative of Arthur Gordon Pym of
Nantucket », New York : Harper &
brothers, 1838
- Edgar Allan
Poe, « Aventures d'Arthur Gordon
Pym » trad. de Charles Baudelaire, Paris :
Michel Lévy frères, 1858
|
- Edgar Allan
Poe, « Aventures d'Arthur Gordon
Pym » trad. de Charles Baudelaire, avec la
conclusion imaginée par Jules Verne dans Le Sphinx
de glace, éd. présentée par
Claude Pichois, Paris : Club des libraires de France, 1960
- Edgar Allan
Poe, « Les Aventures d'Arthur Gordon Pym / The
narrative of Arthur Gordon Pym » éd.
bilingue, trad. de Charles Baudelaire, introduction et notes de Roger
Asselineau, Paris : Aubier-Montaigne, 1973
- Edgar Allan
Poe, « Aventures d'Arthur Gordon
Pym » trad. de Charles Baudelaire,
préface de Jacques Cabau, Paris : Gallimard (Folio
classique, 658), 1975
- Edgar Allan
Poe, « Aventures d'Arthur Gordon
Pym » trad. de Charles Baudelaire, Paris :
J'ai lu (3675), 1994
- Edgar
Allan Poe, « Aventures d'Arthur Gordon
Pym »
trad. de Charles Baudelaire [suivi de] « Le sphinx
des
glaces » de Jules Verne, éd. critique par
Claude
Aziza, Paris : Omnibus, 2005
- Edgar Allan
Poe, « Les aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket
»
trad. de Charles Baudelaire, éd. de Jean-Pierre Naugrette,
Paris : Librairie générale
française (Le
Livre de poche,
Classique, 21033), 2007
|
- Pierre Mac
Orlan, « Le Grand Sud » in Chronique des jours
désespérés, Paris :
Émile-Paul frères, 1927
|
→ Marc Amfreville et Henri Justin, « Effets de réel, effets de fiction dans Arthur Gordon Pym d’Edgar Allan Poe », Revue française d'études américaines, 1998 | 76 | pp. 44-53 [en ligne] |
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mise-à-jour : 10 mars 2020 |
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