Gisèle Pineau

Morne Câpresse

Mercure de France

Paris, 2008
bibliothèque insulaire
   
des femmes et des îles
Guadeloupe

parutions 2008

Morne Câpresse / Gisèle Pineau. - Paris : Mercure de France, 2008. - 265 p. ; 21 cm
ISBN 978-2-7152-2664-7
Gisèle Pineau a participé (1999-2005) au jury du « Prix du Livre Insulaire » d'Ouessant ; elle en a présidé la première édition.
… le pays tout entier risquait de se soulever d'un coup …

p. 262

Au premier regard, la communauté de femmes établie sur le morne Câpresse semble une image inversée de la misère et de la désespérance qui rongent la terre et l'âme de la Guadeloupe. La rédemption semble à portée de rêve. Cette fantasmagorie est rapidement dissipée ; le mal est trop profondément enkysté ; la bonne volonté des apôtres de cet embryon d'utopie ne résiste pas au déferlement des rancœurs et du ressentiment accumulés génération après génération.

La portée de la fable mise en scène par Gisèle Pineau s'éclaire à la lumière des violents évènements 1 qui ont bouleversé l'île quelques mois après sa publication, mais les questions qui restent en suspens aux dernières pages de l'œuvre sont, aujourd'hui encore, toujours aussi angoissantes. Le lâche apaisement que dénonce Gisèle Pineau au terme du récit, une fois détendus les effets les plus apparents de la “ crise ”, trouve son reflet dans le consensus factice qui suit les “ évènements ” du début 2009 et masque mal l'absence d'un projet neuf capable de fonder un avenir fraternel.
       
1. Cf. « Guadeloupe et Martinique en grève générale contre la vie chère et l'exploitation outrancière : les 120 propositions du collectif », [Liyannaj kont pwofitasyon], Fort-de-France : Desnel, 2009
EXTRAIT Le tableau semblait paradisiaque, à l'image des peintures haïtiennes où le jardin d'Éden est représenté sur cette terre, paré de tous les arbres de la Création donnant des fruits à profusion. Les plantations étaient amoureusement soignées, ordonnées, tracées au cordeau. De loin, on reconnaissait des cannaies et des bananeraies, des jardinets de racines-pays dessous l'ombrage immense de fiers palmiers royaux … Une, deux, trois cocoteraies … Des vergers plantés d'arbres aux branches solides chargées d'oranges, pamplemousses, citrons verts … Et quatre, cinq, six potagers sages … Et aussi, bien alignées, des rangées de pastèques, melons, ananas … Et des fleurs en quantité … Des allées d'hibiscus rouges, des parterres d'alpinias, des étendues de roses-porcelaine, tranquilles, au bordage d'une rivière peuplée par une tribu de grosses roches ébaubies sous le soleil. Face à ce soleil champêtre, nul n'aurait pû dire que, de l'autre côté, l'île se transformait doucement en décharge sauvage, que les anciennes plantations étaient empoisonnées par les pesticides et les engrais chimiques, que les mornes verts, les terres vierges disparaissaient, chaque jour un peu plus, sous le béton, la ferraille, le bitume, les carcasses de voitures et toutes les immondices de la société de consommation. Oui, il fallait avouer que cette image de la Guadeloupe en cachait une autre, repoussante et pitoyable à la fois. Oui, en cette même île, des gens aux abois se barricadaient chez eux, élevaient des murs hérissés de tessons de bouteille et harnachés de fils barbelés. Et pendant ce temps-là, d'autres mûrissaient dans la haine, pareils à ces vieilles plaies purulentes, abcès infectés, furoncles sans remède. En vérité, au-delà de ces mornes paisibles, grondait une foule menaçante habitée d'une fureur sans nom. Armée jusqu'aux dents, elle pouvait se lever d'un coup et vous piétiner sans le moindre état d'âme … Non, le voyageur égaré qui serait arrivé là, au hasard de sa route, n'aurait pu songer qu'antan la terreur habitait les lieux et qu'ici-là des hommes enchaînaient d'autres hommes pour du sucre, du café, du cacao … La terre se souvenait-elle encore de ce passé ? Les chaînes, la douleur, le fouet, la colère devant l'ignominie et le silence des Nations …

pp. 49-50
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Morne Câpresse », Paris : Gallimard (Folio, 5008), 2010
  • « La grande drive des esprits », Paris : Le Serpent à plumes, 1993, 1999 ; Philippe Rey (Fugues), 2017
  • « L'exil selon Julia », Paris : Stock, 1996 ; Librairie générale de France (Livre de poche, 14799), 2000 ; HC éditions, 2006
  • « L'âme prêtée aux oiseaux », Paris : Stock, 1998 ; Librairie générale de France (Livre de poche), 2001 ; Philippe Rey (Fugues), 2016
  • « Chair piment », Paris : Mercure de France, 2002 ; Gallimard (Folio, 4033), 2004
  • « Fleur de Barbarie », Paris : Mercure de France, 2005 ; Gallimard (Folio, 4569), 2007
  • « Mes quatre femmes », Paris : Philippe Rey, 2007
  • « Ady, soleil noir », Paris : Philippe Rey, 2021
  • Paola Ghinelli, « Entretien avec Gisèle Pineau », in Archipels littéraires, Montréal : Mémoire d'encrier, 2005
Sur le site « île en île » : dossier Gisèle Pineau

mise-à-jour : 9 février 2021

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