Sophie Pujas

Z. M.

Gallimard - L'Un et l'autre

Paris, 2013
bibliothèque insulaire

      

peintres des îles
Méditerranée
Venise
parutions 2013
Z. M. / Sophie Pujas ; postface de Jean Clair. - Paris : Gallimard, 2013. - 120 p. ; 21 cm. - (L'Un et l'autre).
ISBN 978-2-07-013928-6
… la voix de Zoran ne peut, ne doit être comprise que dans le chœur de centaines d'autres.

p. 57

Zoran Mušič est né en 1909 dans l'empire austro-hongrois, à proximité de Trieste où se partagent se mêlent s'affrontent les influences latine et slave. A vingt ans il suit les cours de l'Ecole des Beaux-Arts de Zagreb, commence à peindre, voyage. En octobre 1944 il est arrêté à Venise par la gestapo : pour avoir refusé de collaborer avec l'occupant, il est envoyé au camp de concentration de Dachau où il trouve la force de dessiner. Après la libération du camp il retourne à Venise en octobre 1945, portant avec lui quelques dessins, « ce qu'il avait pu sauver du souvenir de ses frères humains massacrés » (p. 63). Et il poursuit son œuvre — sursaut face au silence, désir de saisir la lumière de « la vie qui revient » 1.

Sophie Pujas suit ce parcours marqué par le face à face avec l'horreur après quoi tout pourrait avoir sombré, sinon l'amer savoir de qui a survécu à l'indicible et veut renouer le cours du chant et des couleurs.

Et Venise — après Dachau ? Simple diversion ? Tentation de l'oubli ? Lieu d'un pacte à renouer avec un monde immémorial ? Sophie Pujas y voit l'occasion d'un dépassement :
“ À Venise, il pouvait refuser le vrai pour traquer l'impossible, célébrer la beauté d'un monde qui avait tant démérité. La beauté est un acte de foi ” — p. 66.

Zoran Mušič est mort à Venise en 2005
       
       
1. Jean Clair, Postface Le soleil ni la mort, p. 115 (réédition de l'introduction au catalogue d'une exposition à la Galerie Claude Bernard en 2010).
EXTRAITS
Mots voyageurs

   Il avait rêvé de Venise, enfant, quand il fixait l'horizon.
   C'était un nom riche de solennelles promesses. Celui d'anciens maîtres, habiles et roués.
   Commencer à rêver, s'attarder en esprit auprès d'un lieu ou d'un être, c'est déjà aimer.
   Il connaissait déjà Venise par ces frôlements incessants de l'âme, par ces pensées vagabondes où toujours revenaient glisser des flotilles en fête.

   Quand il la vit enfin, il était prêt au coup de foudre.
   Aimer, c'est reconnaître. Admettre que nos appels ont frayé  leur chemin vers la réalité, ont façonné les formes qu'il nous faut accueillir.
   Il aimait Venise depuis toujours, et il aima sans peine la femme que Venise lui offrit.

pp. 37-38
Arrestation

   C'était la première fois qu'il prenait une gondole. Mais ce n'est pas ainsi que cette histoire commence. Il marchait dans Venise, à sa douce habitude, quand ils l'avaient arrêté. Les Allemands en uniforme qui avaient mis la main sur Venise, la meute du Führer. Jusque-là il s'était tenu à l'écart de cette guerre, pensait-il. De son aversion, il n'avait pas fait un combat. Naïf ? Peut-être. Pourtant trop de ses amis étaient entrés en lutte. Il était suspect.

   Ils l'avaient arrêté Ponte dell'Academia. Au moment où son monde s'effondrait, à un point qu'il ne pouvait alors mesurer, son regard heurta les grilles d'un palazzo, tapi au fond d'une allée verte. Ils le jettèrent dans une gondole. Menotté, il passa sous le pont des Soupirs, tâchant de concilier par la pensée le rythme de leur barque funèbre au règne qui venait de commencer : celui de la brutalité, qui s'était ouvert sous ses pieds comme une trappe.

pp. 43-44
Retour

   Il passa quelque temps en convalescence à Gorizia, mais très vite il sut qu'il lui fallait retrouver Venise pour renaître.
   Quand il fut de retour enfin, sur la place San Marco, et qu'il put gravir les marches de la basilique, ce fut un moment de paix étrange et douloureuse.

   Il était heureux. Aller et venir dans les bleus sourds vénitiens, déployer son corps en liberté dans cette ville aimée, il en était grisé. Il n'arrivait pas à croire que cela fût possible, qu'il puisse sortir sans risque son crayon, sans avoir besoin de glisser sous sa chemise ses images déchirées, et son incrédulité augmentait sa joie, sauvage, tumultueuse.
   Si tout bonheur est un scandale, le sien était le plus éclatant, sans doute.
   Son bonheur était un exploit, le plus violent des gestes de survie qu'il avait dû accomplir.

pp. 61-62
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • Jean Clair, « La barbarie ordinaire : Music à Dachau », Paris : Gallimard, 2001 ; réédité sous le titre « Zoran Music à Dachau : la barbarie ordinaire », Paris : Arléa (Arléa-poche, 244), 2018
  • Giovanna Dal Bon, « Doppio ritratto : Zoran Music, Ida Barbarigo », Milano : Johan & Levi, 2008
  • Jean Grenier, « Music », Paris : Le Musée de poche, 1970
  • Paolo Levi, « Zoran Music, dialogo con l'autoritratto », Milano : Electa, 1992
  • Jean Leymarie, « Venise dans l'œuvre de Zoran Music » (Catalogue de l'exposition au Musée Cognacq-Jay, 18 janvier-16 avril 2000), Paris : Paris musées, 2000
  • Michael Peppiatt, « Zoran Music : entretiens 1988-1998 », Paris : L'Echoppe, 2000
  • Sophie Pujas, « Les homards sont immortels », Paris : Flammarion, 2022

mise-à-jour : 2 mars 2022
   ACCUEIL
   BIBLIOTHÈQUE INSULAIRE
   LETTRES DES ÎLES
   ALBUM : IMAGES DES ÎLES
   ÉVÉNEMENTS

   OPINIONS

   CONTACT


ÉDITEURS
PRESSE
BLOGS
SALONS ET PRIX