Benjamin Black

Les disparus de Dublin

NiL

Paris, 2010

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Irlande
îles noires
parutions 2010
Les disparus de Dublin / Benjamin Black ; traduit de l'anglais (Irlande) par Michèle Albaret-Maatsch. - Paris : NiL éditions, 2010. - 436 p. ; 23 cm.
ISBN 978-2-84111-439-9
Je suis en train de dire, Monsieur Quirke, qu'il est des choses qu'il vaut mieux oublier, qu'il vaut mieux ne pas remuer.

p. 191

C
hef du service de médecine légale d'un hôpital de Dublin, Quirke se sent obligé de remonter la trace d'un jeune femme dont le rapport d'autopsie a été falsifié et le cadavre détourné — le tout sous ses yeux, un soir d'ivresse.

Au fil d'une enquête improvisée, Quirke ne tarde pas à découvrir que son proche entourage est directement impliqué. Son obstination dérange et on le lui fait savoir, subtilement dans un premier temps, puis non sans rudesse : chaque pression conforte sa détermination qui le conduit des rues pluvieuses et des pubs enfumés de Dublin jusqu'aux faubourgs résidentiels de Boston sur l'autre bord de l'Atlantique.

Sous un masque transparent, John Banville a choisi le roman noir pour dénoncer les sordides connivences de la bonne société et de l'église catholique dans l'Irlande d'après-guerre.
EXTRAIT Quirke, se sentant un peu idiot — mais juste un peu — du bonheur qu'il éprouvait à se trouver là en compagnie de Phoebe, jeune et radieuse dans sa robe d'été, sourit intérieurement. Dans le bar, le bruit tenait maintenant de la clameur régulière et même lorsqu'il essayait d'écouter, c'est à peine s'il entendait la jeune fille. Là-dessus, un cri s'éleva dans son dos.
   « Nom d'un petit bonhomme, si c'est pas le Dr La Mort ! »
   C'était Barney Boyle 1, parfumé, bourré et d'une jovialité menaçante. Quirke se tourna en affectant un sourire. Barney était une connaissance dangereuse : dans le temps, ils avaient souvent pris des cuites ensemble.
   « Salut, Barney », dit-il avec circonspection.
   Barney était en tenue de beuverie : costume noir chiffonné et taché, cravate rayée en guise de ceinture et chemise, jadis blanche, au col largement ouvert, comme si quelqu'un avait tiré dessus au cours d'une bagarre. Phoebe tressaillit de plaisir de rencontrer le célèbre Barney Boyle. C'était, elle le remarqua — elle manqua éclater de rire —, une version réduite de Quirke, plus court d'une bonne tête mais avec le même torse puissant, le même nez cassé et les mêmes pieds ridiculement menus. Barney Boyle lui attrapa la main et y planta un baiser baveux. Ses mains à lui, nota Phoebe, étaient petites, douces et délicieusement potelées.
   « Ta nièce, non ? lança-t-il à Quirke. Bon sang, Doc, de plus en plus nice les nièces, n'est-ce pas ? — et ça, ma chérie, ajouta-t-il en ramenant son sourire éclatant sur Phoebe, c'est pas facile à prononcer quand on est bourré de Porter. »
   Il réclama à boire en affirmant, malgré les protestations de Quirke, qu'il fallait que Phoebe reprenne un verre aussi. Sous le regard emballé de la jeune fille, Barney se rengorgeait et se balançait d'avant en arrière, une pinte de bière dans une main, une cigarette mouillée dans l'autre. Phoebe lui demanda s'il écrivait une nouvelle pièce de théâtre et il balaya l'air d'un bras méprisant.
   « Non ! rugit-il. Je n'écrirai plus de pièces de théâtre. »
   Il prit la pose et déclara, comme s'il s'adressait à un large public :
   « Dorénavant, l'Abbey Theatre devra se passer des fruits de mon génie ! »
   La tête rejetée en arrière et la bouche grande ouverte, il avala une méchante rasade de bière, les tendons du cou frémissants.
   « Je me remets à écrire de la poésie, poursuivit-il en essuyant du revers de la main ses grosses lèvres rouges. En irlandais, cette belle langue que j'ai apprise en taule, université des classes laborieuses. »
   Quirke sentit son sourire se figer lentement, désespérément. Certaines nuits, Barney et lui étaient allégrement restés là, face à face, jusqu'à la fermeture et bien après à s'enfiler verre sur verre en s'agitant sous le nez leur personnalité dilatée, tels deux gamins qui se battent à coups de ballon. Eh bien, ce temps-là était révolu depuis longtemps. Quand Barney essaya de commander une nouvelle tournée, Quirke résista en levant la main et dit non, qu'ils devaient s'en aller.

pp. 45-46
       
1. « … il avait vu le nom de Brendan Behan dans une brève d'un journal sur de célèbres pensionnaires de l'hôtel Chelsea de New York. Mais on y disait seulement que Behan était un brillant écrivain irlandais qui se décrivait en général lui-même comme un alcoolique qui avait des problèmes d'écriture. Cette expression resta gravée dans sa mémoire et, par ailleurs, une si intense mais laconique information donna encore plus de poids à l'énigme de ce saint buveur jusqu'au jour où, bien des années après la première fois où il avait entendu parler de lui, il découvrit Behan camouflé derrière le personnage du charlatan Barney Boyle au comptoir d'un pub dans [Les disparus de Dublin], roman écrit par John Banville sous le pseudonyme Benjamin Black. Surpris par cette trouvaille, il scruta l'atmosphère dans laquelle évoluait ce Boyle, sosie de Behan : brouillard, poêles à charbon, vapeurs de whisky et fumée nauséabonde de cigarette. » — Enrique Vila-Matas, « Dublinesca », Paris : Christian Bourgois, 2010 (pp. 109-110).
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Christine Falls », London : Picador, 2006
  • « Les disparus de Dublin », Paris : 10/18, 2011
  • Benjamin Black, « La double vie de Laura Swan », Paris : NiL éditions, 2011 ; Paris : 10/18, 2012 
  • Benjamin Black, « La disparition d'April Latimer », Paris : NiL éditions, 2013 ; Paris : 10/18, 2014 
  • Benjamin Black, « Mort en été », Paris : NiL éditions, 2014 ; Paris : 10/18, 2015
  • Benjamin Black, « La blonde aux yeux noirs », Paris : Robert Laffont, 2015 ; Paris : 10/18, 2016
  • Benjamin Black, « Vengeance », Paris : Robert Laffont, 2017

mise-à-jour : 26 octobre 2022

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