Correspondance /
Victor Segalen ; éd. présentée par
Henry Bouillier ; texte établi et annoté par
Annie Joly-Segalen, Dominique Lelong et Philippe Postel. - Paris :
Fayard, 2004. - 3 vol. (1294 p.-[24] p. de pl.,1270 p.-[24] p. de pl., 286 p.) :
ill., cartes ; 25 cm.
ISBN 2-213-61947-6
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NOTE DE L'ÉDITEUR : […]
En octobre 1893, Segalen a quinze
ans et se destine à la médecine navale. Pendant
ses études à Brest puis à Bordeaux, au cours
de son premier voyage autour du monde, il s'adresse à
sa famille, ses amis et maîtres spirituels Huysmans, Saint-Pol
Roux, Jules de Gaultier, Claudel. Au fidèle Henri Manceron,
il dit son éblouissement de vivre à Tahiti, sa
rencontre posthume avec Gauguin, le déclin de la race
maori d'où naissent Les Immémoriaux. Son
retour en France est marqué par ses visites à G.-D.
de Monfreid, ami de Gauguin, son mariage avec Yvonne Hébert
en 1905, qui sera la correspondante privilégiée,
sa collaboratrice et sa première lectrice. [...] De 1909
à 1914, Segalen séjourne en Chine [où il]
retournera une dernière fois en 1917.
En France il retrouve son poste
à l'hôpital de Brest mais ses forces le trahissent.
Les dernières lettres empreintes d'une beauté crépusculaire
sont dominées par la conversation mystérieuse et
hautaine qu'il échange avec Hélène Hilpert,
l'amie d'enfance de sa femme, et le sentiment qu'il résume
dans cet aveu pathétique à J. Lartigue : « Je
constate simplement que la vie s'éloigne de moi ».
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MAURICE MOURIER : […]
Dans sa courte existence, il
ne sera heureux continûment que dix-huit mois, dans l'Archipel
de la Société, aux Pomotou, aux Gambier, sur les
traces de son cher Gauguin, autre Breton irréductible,
et dans les bras nombreux des vahinés, mais alors heureux
à en perdre le souffle, dans une frénésie
de libération et de rejet de la carapace catholique, à
quoi la vie déjà très libre de Bordeaux
et surtout de Toulon l'avait bien préparé.
Cette exaltation de bonheur,
fièvre du corps — donc de l'âme —, il
ne la retrouvera jamais, cette ivresse de la beauté des
filles, de leur facilité à jouir et à faire
jouir. La déception de l'après-Tahiti est abyssale
[…].
[…]
☐ La Quinzaine littéraire, 16-31 octobre 2004
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SIMON LEYS : […]
En Polynésie [Victor Segalen]
découvrit simultanément un paradis à l'agonie,
et l'œuvre de Gauguin qui venait d'y mourir. Il connut, dans
les îles, une forme de bonheur, ou était-ce tout
simplement le fait d'être jeune, et enfin débarassé
de la pesante province bigote de son enfance ? Bien des
années plus tard, il en reparlera encore dans une lettre
à un ami : « Je t'ai dit avoir été
heureux sous les Tropiques. C'est violemment vrai. Pendant deux
ans en Polynésie, j'ai mal dormi de joie. J'ai eu des
réveils à pleurer d'ivresse du jour qui montait …
J'ai senti de l'allégresse couler dans mes muscles. J'ai
pensé avec jouissance. (…) Je tenais mon œuvre, j'étais
libre, convalescent, frais et sensuellement assez bien entraîné.
Toute l'île venait à moi comme une femme. Et j'avais
précisément de la femme, là-bas, des dons
que les pays complets ne donnent plus. Outre la classique épouse
maorie dont la peau est douce et fraîche, les cheveux lisses,
la bouche musclée, j'ai connu des caresses … »,
etc.
Mais cet élan lyrique
est sans doute partiellement dû à un éloignement
dans le temps, que l'écrivain a pris par rapport à
ses souvenirs. Les lettres qu'il envoyait de Tahiti rendent un
son quelque peu différent. Suivant la mode conventionnelle
des officiers de l'époque, il avait en effet commencé
par prendre une compagne indigène, mais semble s'en être
assez vite lassé, comme il le confie dans diverses missives
plutôt goujates adressées à un vieux copain
[…].
Évidemment, malgré
tous ses dons d'intelligence et de cœur, Segalen était
aussi, qu'il le veuille ou non, un enfant du stupide XIXe siècle.
Plus tard, on en trouvera d'ailleurs d'autres traits, non moins
pénibles, dans certaines des réactions que lui
inspirera la Chine.
Mais en même temps il est
trop fin pour ne pas sentir lui-même, confusément,
toute l'insuffisance, la vulgarité et la bassesse de son
propre univers. De Polynésie, il ramène son premier
livre, Les Immémoriaux, où se manifeste
la volonté de prendre le contre-pied de la littérature
d' « impressions coloniales », tellement
en faveur à l'époque. À l'inverse des écrivains-touristes,
il cherche à peindre moins l'impact du milieu sur le voyageur
que celui du voyageur sur le milieu : « Je
ne suis décidément pas fait pour ces visions brèves
qui ravissent Loti et par le moyen desquelles il ravit ensuite
ses lectrices. Il me faut savoir outre ce qu'apparaît le
pays, ce que le pays pense … » Les Loti
& Cie « ont dit ce qu'ils ont vu, ce qu'ils
ont senti en présence des choses et des gens inattendus
dont ils allaient chercher le choc. Ont-ils révélé
ce que ces choses et ces gens pensaient en eux-mêmes, et
d'eux ? Car il y a peut-être du voyageur au spectacle,
un autre choc en retour dont vibre ce qu'il voit ».
Ce programme est splendide, mais
ses lettres de Polynésie trahissent combien Segalen demeura
loin de pouvoir le réaliser. Chez ces vahinés aux
cheveux longs et idées courtes, réussit-il vraiment
à découvrir « ce que le pays pensait » ?
Et en quoi les superbes évocations de paysages et d'atmosphères
tahitiennes qui donnent vie et couleur à sa correspondance,
diffèrent-elles des meilleures pages de Loti ?
[...]
☐ “ Victor Segalen,
les tribulations d'un poète en Chine ”, Le Figaro littéraire, 3 février 2005
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - Victor Segalen, « Les Immémoriaux »,
Paris : Plon, 1956
- Victor Segalen, « Journal des îles », Papeete : Les éd. du Pacifique, 1978
- Victor Segalen, « Œuvres complètes »
vol. 1, Paris : Robert Laffont (Bouquins), 1995
- Victor Segalen, « Essay on exoticism, an aesthetics of diversity »,
Durham (North Carolina) : Duke university press, 2002
- Victor Segalen, « Hommage à Gauguin, l'insurgé
des Marquises », Paris : Magellan et Cie,
2003
- Victor Segalen, « Premiers écrits sur
l'art (Gauguin, Moreau, sculpture) - Œuvres critiques, vol. 2 » textes
établis par Colette Camelin et Carla van den Bergh, Paris : Honoré
Champion (Textes de littérature moderne et contemporaine, 135), 2011
| - Mauricette Berne (dir.), « Victor Segalen, voyageur et visionnaire »,
Paris : Éd. de la Bibliothèque Nationale,
1999
- Roger
Boulay et Patrick Absalon (dir.), « Rencontres en
Polynésie : Victor Segalen et l'exotisme »,
Paris : Somogy, 2011
- Colette Camelin (éd.), « Exotisme et altérité : Segalen et la Polynésie », Paris : Honoré Champion (Cahiers Victor Segalen, 2), 2015
- Jean-Luc Coatalem, « Mes pas vont ailleurs », Paris : Stock, 2017
- Marie Dollé et Christian
Doumet (dir.), « Victor Segalen »,
Paris : L'Herne (Cahiers de l'Herne, 71), 1998
- Etienne Germe, « Segalen, l'écriture, le nom :
Architecture d'un secret », Saint-Denis :
Presses universitaires de Vincennes, 2001
- Jean-Jo Scemla, « Les Immémoriaux
de Victor Segalen », Papeete : Haere po
no Tahiti, 1986
- Kenneth
White, « Les Finisterres de l'esprit : Rimbaud, Segalen
et moi-même » éd. revue et augmentée,
Paris : Isolato, 2007
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mise-à-jour : 18 février 2019 |

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