NOTE DE L'ÉDITEUR : Après 18 ans d'exil, Fernando
Terry revient passer un mois à La Havane, pour trouver
enfin le manuscrit autobiographique du grand poète José
Maria Heredia (un cousin de celui que nous connaissons), auquel
il a conscré sa thèse. Il en profite pour tirer
au clair les circonstances qui ont entouré son expulsion
de l'université, et lui font soupçonner une trahison
et une dénonciation.
Au récit de ce retour
et de la recherche du manuscrit s'ajoutent deux autres plans
temporels : la vie de Heredia au début du XIXe siècle
(le manuscrit) pendant les premières tentatives d'émancipation
de la colonie espagnole et les derniers jours du fils du poète,
José de Jesus, franc-maçon, au début du
XXe siècle. Peu à peu émergent des parallélismes
suprenants dans la vie des personnages, comme si, à travers
les siècles, l'histoire de Cuba marquait d'un sceau fatal
les destins individuels. Dénonciations, exil, intrigues
politiques, trahisons semblent inévitables à tout
créateur talentueux, quelque soit le moment historique
qu'il lui est donné de vivre.
Leonardo Padura confirme ici
son statut d'écrivain. Il évoque avec talent le
romantisme dans les Caraïbes coloniales, les loges maçonniques
et leur survie jusqu'à aujourd'hui, et nous emmène
dans un voyage aux origines de la conscience nationale cubaine
à travers la vie de son premier grand poète.
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LIBÉRATION, 13 février 2003 : […]
Le Palmier et l'étoile est inspiré par l'histoire dramatique
de José Maria Heredia, le premier grand poète cubain,
et l'un des plus fameux romantiques de langue espagnole. Un universitaire,
Fernando Terry, revient à Cuba en 1998, après dix-huit
ans d'exil, pour rechercher un texte posthume et inconnu d'Heredia.
Ce texte, ce sont ses mémoires : La novela de
mi vida (« Le roman de ma vie », titre
du roman de Padura, en espagnol).
Heredia est mort en exil au Mexique,
en 1839, à 35 ans. Il avait lutté pour l'indépendance,
la démocratie, l'affranchissement des esclaves. Depuis
lors, ses mémoires ont disparu. Le fils cadet du poète
les a remis soixante ans plus tard à sa loge maçonnique.
Ils ont circulé, de main en main, avant de se perdre.
Les retrouver serait essentiel : l'identité cubaine
s'est forgée dans le destin symbolique de cet homme.
Fernando plonge alors dans le
monde maçonnique cubain, à la recherche du manuscrit
perdu. Padura rend ici hommage à son père, petit
épicier et franc-maçon de la loge « Fils
de la lumière et de la constance », « mais
il n'a pas lu mon livre, il lit peu ». Surtout,
Fernando veut profiter de sa recherche pour comprendre qui, en
1980, l'a trahi, cassant sa carrière. A Madrid, la vie
de cet universitaire est devenue fantomatique : il se survit.
Il retrouve à Cuba ses anciens amis et les évalue
un par un : lequel fut le traître ? Mais y en
eut-il vraiment un ? Et retrouvera-t-il le manuscrit ?
Les réponses auront l'amertume d'une mangue verte et le
sourire d'un fou.
Padura a écrit son livre
en homme de métier. Trois récits s'enchevêtrent :
celui de Fernando ; celui du manuscrit perdu d'Heredia ;
et celui d'Heredia lui-même, dont Padura écrit les
« mémoires » (qui n'ont en vérité
jamais existé) à la première personne. Il
le fait avec de longues phrases, un peu ampoulées, sans
anachronisme, pour donner le parfum littéraire de l'île
au début du dix-neuvième siècle. Elles collent
de près aux nombreuses lettres du poète. Au début,
Padura écrivait les trois histoires de front. « Mais
j'ai failli devenir fou, sourit-il. Alors j'ai arrêté,
pour écrire une nouvelle aventure du Conde, Adieu
Hemingway. Il enquête sur un cadavre qu'on déterre
dans le jardin de la propriété d'Hemingway à
La Havane. Le type est mort en 1958, tué par un arbre
pendant un cyclone. C'était un agent du FBI chargé
de surveiller l'écrivain. Hemingway était un personnage
difficile, menteur et traître, mais l'écrivain reste
pour moi un maître ». Iles à la dérive, œuvre posthume, est le livre de l'Américain qu'il préfère.
Ensuite, Padura a repris le Palmier
et l'étoile. Il a écrit chaque récit,
puis les a mêlés. Le résultat n'est pas un
roman historique, mais une méditation sur la culture et
l'histoire politique cubaine : les destins d'Heredia et
de Fernando se reflètent et se comparent. Padura explique :
« Heredia vit à Cuba la fin d'un monde :
fin de la traite des noirs, fin du rêve colonial. Bientôt,
l'Espagne s'en ira et Cuba se retrouvera seule. Fernando vit
lui aussi la fin d'un monde : celui du rêve communiste.
L'Union soviétique s'en va et Cuba, de nouveau, se retrouve
seule ». Dans cet infernal cycle historique, une
double malédiction se répète : celle
de la trahison et de l'exil. Avec le palmier, la lumière,
la musique et la danse, elle fonde la culture cubaine.
[…]
Philippe Lançon
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