Les Marquisiens et
leur art : l'ornementation primitive des mers du Sud (vol. 2)
Plastique / Karl von den Steinen ; [nouv. éd. ; trad. revue et corrigée]. - Papeete : Au Vent des îles, Musée de
Tahiti et des îles, 2016. - 296 p. :
ill., cartes ; 31 cm.
ISBN 978-2-36734-071-5
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... le dieu était
initialement représenté afin que son image le tienne
subjugué magiquement.
Avant-propos
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La première partie présente dans ses grandes lignes la « culture
matérielle » des habitants de l'archipel :
habillement et parure, maison, alimentation et outillages, navigation
et pêche, armes et insignes d'autorité, instruments
de musique, sports et jeux, ficelles à nœuds, objets
sacrés, huttes funéraires et marae.Mais la plus grande partie de
l'ouvrage est occupée par les chapitres
consacrés à « l'art du tiki » ;
ces figures anthropomorphiques sont étudiées sous
toutes leurs formes — sculpture monumentale sur pierre
ou sur bois, sculpture ornementale (pierre, bois, os, ivoire,
écaille) ou gravure. L'acuité du regard, l'ampleur
du recensement, la qualité de l'analyse des styles, de
leur évolution dans le temps et de leurs variantes locales,
toutes ces qualités font de « l'art du tiki »
le pendant de la magistrale étude du tatouage
contenue dans le premier volume.Karl von den Steinen a mené
son enquête aux îles Marquises d'août 1897
à février 1898 ; il ne subsistait plus alors
dans l'archipel que de rares pièces anciennes rescapées
des pillages et destructions causés par les visiteurs
occidentaux sur un rythme croissant tout au long du XIXe
siècle. Pour mener à bien son investigation, Karl
von den Steinen complète la collecte de terrain par sa
connaissance des différentes collections publiques ou
privées en Europe et en Amérique du nord, ainsi
qu'en puisant dans l'abondante littérature qui leur est
consacrée ; mais cette approche est constamment vivifiée
par les informations, points de vue et analyses recueillis sur
place auprès des derniers détenteurs de la culture
classique marquisienne — toujours écoutés
avec un profond respect, qui n'exclut ni le retrait de la réflexion,
ni, très souvent, l'humour … et l'aptitude à
en reconnaître les manifestations 1.L'ouvrage s'accompagne d'une
abondante iconographie : une partie en est reportée
dans le troisième et dernier volume,
intitulé « Les Collections ». 1. | Ainsi lit-on, au détour d'un long développement sur les chemins d'un art sans liberté :
« à ce stade d'un art stylisé (qu'il s'agisse
du dessin tatoué ou de la sculpture de personnages), je voudrais
montrer que le mythe, de même qu'il devient en littérature
une légende distrayante, n'est pas inaccessible à la
fantaisie artistique et lui prête volontiers ses
motifs ». |
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EXTRAIT |
On ne réalise que trop
peu, et trop rarement, l'abîme terrible qui s'est ouvert
parmi les indigènes entre la génération
du grand-père et celle du petit-fils, et aucune personne
honnête ne peut méconnaître la profonde tragédie
qui a frappé l'existence du premier, à tout le
moins, du fait d'un total déracinement. Subitement, il
n'y eut plus de prêtres, plus de chefs, plus de guerriers,
plus de guerres tribales, plus de tiki de bois ou de pierre ;
plus d'ornements de plumes d'oiseaux, de dent de cachalot, de
barbe de vieillard ou de la chevelure aux boucles noires des
parents ; plus de bâton de chef portant au pommeau
un lézard ou un etua, plus de véritable
éventail de cérémonie au manche sculpté,
plus de véritable pagaie-massue ou de massue, plus de
fronde et de pierre de fronde, plus de trompe en coquillage,
plus de tambour tendu de peau de requin, plus d'échasses
aux marchepieds sculptés. Tous les lieux sacrés
tombèrent en ruines dans la brousse tropicale proliférante.
Désormais, tabu était le tatouage, tabu
le kava, tabu la nudité. Il n'y avait presque
plus de tapa blanc pour envelopper les morts, et plus
personne ne pensait à planter un mûrier pour chaque
nouveau-né. Le voyageur n'est plus averti du prochain
village par le son lointain des ike battant le tapa.
Tout, tout ce qui avait été la coutume et la tradition,
la religion et le culte, le savoir, l'art et l'artisanat ne vivait
plus que dans le souvenir des vieux, aigris et à qui le
bonheur de la civilisation restait incompréhensible et
détesté. La jeune génération, par
contre, nommait « tiaporo » (diable)
l'ancien dieu etua, et entendait à l'école
de la mission [un] petit pamphlet dans lequel l'image de l'ancêtre
déifié est abaissée au rang de bête
de somme et sera attelée à la carriole chargée
de pierres, de sable et de bois de feu.
C'est sur ce sol ingrat qu'a
poussé (à part rares exceptions) tout ce qui fut
sculpté et gravé depuis la fin du XIXe siècle
dans les îles, bien sûr avec des outils de fer et
d'acier. Depuis longtemps, la plupart des objets de valeur a
été détournée par les visiteurs étrangers,
si bien qu'on n'avait même plus de modèles authentiques.
Mais les collectionneurs payaient bien ; et une génération
devenue épigone par nécessité fabriqua et
fabrique encore des récipients surchargés de sculpture,
des « massues », des « pagaies »,
sans oublier les tiki de pierre, qui sont livrés
aux musées, parfois en abondance. On voit immédiatement
que ces objets ne furent jamais utilisés et, ce qui est
le plus original, n'auraient jamais pu être utilisés !
Ils sont simplement des productions artificielles de « l'industrie
touristique » ; c'est une appellation peu amicale
mais qui est juste et doit être de loin préférée
au terme dépourvu de sens « objet cérémoniel »,
qui cache mal l'embarras. Les réalisations de meilleur
niveau seront volontiers reconnues comme témoignages des
dons et de l'originalité des tuhuna !
☐ Au tournant du siècle
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COMPLÉMENT
BIBLIOGRAPHIQUE | - « Die Marquesaner
und ihre Kunst : Studien über die Entwicklung primitiver
Südseeornamentik nach eigenem Reiseergebnissen und dem Material
der Museum » 3 vol., Berlin : D. Reimer
(E. Vohsen), 1925-1928
- « Die Marquesaner
und ihre Kunst : Studien über die Entwicklung primitiver
Südseeornamentik nach eigenem Reiseergebnissen und dem Material
der Museum » 3 vol., New York : Hacker art
books, 1969
- « Die Marquesaner
und ihre Kunst : Studien über die Entwicklung primitiver
Südseeornamentik nach eigenem Reiseergebnissen und dem Material
der Museum » 3 vol., Saarbrücken : Fines Mundi GmbH, 2008
| - Karl von den Steinen, « L'art
du tatouage aux îles Marquises » ill. et
textes choisis et traduits par Denise et Robert Koenig et Julia
Nottarp-Giroire, Papeete : Haere po, 2005
- Karl von den Steinen, « Les Marquisiens et leur art » 3 vol.,
Papeete : Musée de Tahiti et des îles, Le Motu,
2005-2008
| | - Karl von den Steinen, « Mythes
marquisiens » vol. I, Papeete : Haere
po, 1997
- Karl von den Steinen, « Mythes
marquisiens » vol. II, Papeete : Haere po,
1998
- Karl von den Steinen, « Mythes
marquisiens » vol. III, Papeete : Haere
po, 1999
- Karl von den Steinen, « Mythes
marquisiens » éd. revue et augmentée,
Papeete : Haere po, 2005
- Karl von den Steinen, « Kena, une légende du tatouage marquisien — Ha'akakai 'enata » trad. du marquisien d'après le carnet de terrain de Hiva'oa 1897-1898, Papeete : Haere po, 2014
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mise-à-jour : 5 avril 2016 | 
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