Tiziano Scarpa

Stabat mater

Christian Bourgois

Paris, 2011
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Méditerranée
Venise

parutions 2011

Stabat mater / Tiziano Scarpa ; trad. de l'italien par Dominique Vittoz. - Paris : Christian Bourgois, 2011. - 141 p. ; 20 cm.
ISBN 978-2-267-02152-3
J'imagine derrière ces murs l'eau sans bornes, les îles fangeuses et le vent qui balaie les broussailles, et je ne suis pas au-dessus, je ne plane pas sur les eaux comme l'esprit du Seigneur.

p. 27

À peine née, Cecilia a été abandonnée et confiée à une pension qui forme l'élite des musiciennes de la Sérénissime. Nuit après nuit la jeune recluse entretient un dialogue tourmenté, tantôt avec l'image d'une mère dont elle peine à fixer les traits, tantôt avec la représentation presque plus familière — tête aux cheveux de serpents — de la mort à laquelle elle se sait vouée.

Au-delà des murs infrangibles de l'hospice de la Pietà, la lagune et ses îles aux contours indistincts marquent le seul horizon où puisse s'ouvrir un aperçu du monde et s'ancrer le rêve d'un avenir tolérable. Insaisissable et fluctuant, l'élément marin contamine les pensées que, dans le silence et l'obscurité, Cecilia tente de mettre en forme : « mon violon plongeait parmi les vagues des sons en tempête, disparaissait dans les profondeurs, réapparaissait tel le dauphin qui habite les bourrasques » (p. 86).

Seule la musique, pratiquée quotidiennement, éclaire cet univers incertain et constamment menacé. Non sans conflits — ainsi quand le vieux maître perclus de conformismes doit céder le pas à un jeune abbé d'une intrigante et exigeante virtuosité. La puissance de cet appel vient à bout de tous les murs ; la fuite est inéluctable : « Madame Mère, je vous écris pour la dernière fois. Je me suis enfuie de l'Hospice. (…) J'ai compris ce que vous vouliez me dire avec le dessin de la rose des vents. (…) Nous voguons vers les îles grecques » (pp. 134-135).
EXTRAIT    Hier, on nous a emmenées en barque pour une nouvelle excursion. On nous traite comme des chevaux, qu'il faut faire trotter en plein air sous peine de les voir sombrer dans la folie. Nous sommes arrivées sur une île que je n'avais jamais vue. Un couple de paysans, des gens âgés, nous a offert son vin nouveau. Les religieuses, qui d'abord avaient refusé, ont été les premières à en goûter une gorgée. C'est un liquide saumâtre, venu du sable, qui pompe la salive et assèche la langue. Nous avons joué et chanté pour ces deux petits vieux. Ils nous ont écoutées, assis côte à côte. À la fin, ils se comportaient avec nous comme si nous étions des magiciennes. Ces vieilles gens qui ont connu tous les travaux nous traitaient avec respect, nous qui ne savons rien de la vie, sinon comment déplacer nos doigts le long d'un boyau d'animal tendu sur une caisse en bois. Ce n'est pas juste. Ils ont demandé l'autorisation de toucher nos instruments, ils ignoraient l'existence d'objets capables de produire des sons aussi étranges. L'organe des chanteuses aussi les a impressionnés. La vieille femme a effleuré le cou de Serena, la contralto, avec le même ébahissement respectueux qu'elle a manifesté devant mon violon. « Ooooo … », a-t-elle essayé à son tour, d'une voix rauque qui était un râle. Elle se comportait comme un vieil animal, je crois qu'elle se sentait comme un singe devant un être supérieur. Elle n'avait jamais entendu chanter de la sorte, avec des voix portées comme les nôtres. Je ne sais si je dois me réjouir d'avoir apporté la musique sur cette île, aux oreilles de ces deux vieillards qui n'en avaient peut-être jamais entendu de leur vie. Je me demande ce qui vaut mieux : savoir, mais trop tard, qu'il existe une autre façon de vivre, ou l'ignorer. Nous avons troublé leur paix. Ces deux petits vieux avaient traversé l'existence à l'abri de la promesse qu'apporte la musique, ils mourront plus tristes qu'ils ne l'étaient avant de nous entendre.

pp. 110-111
COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE
  • « Stabat mater », Torino : Einaudi, 2008
  • « Stabat mater », Paris : Librairie générale française (Le Livre de poche, 32712), 2012
  • « Venise est un poisson », Paris : Christian Bourgois, 2002, 2010, 2017
♫ LA MUSIQUE SUR LE SITE DES LITTÉRATURES INSULAIRES
La musique est encore insuffisamment représentée sur le site des littératures insulaires. Ne sont rappelés ici que les références d'ouvrages déjà présentés (ou qui le seront prochainement).
  • Mimi Barthélémy, « Dis-moi des chansons d'Haïti », Paris : Kanjil, 2007, 2010
  • François Bensignor (dir.), « Kaneka, musique en mouvement », Nouméa : Poemart, ADCK, 2013
  • Philippe Blay, « L'opéra de Loti, L'île du rêve de Reynaldo Hahn », in Supplément au Mariage de Loti, Papeete : Sté des Études Océaniennes (Bulletin, 185-287), 2000
  • Etienne Bours, « La musique irlandaise », Paris : Fayard (Les Chemins de la musique), 2015
  • Alejo Carpentier, « Chasse à l'homme », Paris : Gallimard (La Croix du sud, 19), 1958
  • Philippe-Jean Catinchi, « Polyphonies corses », Arles : Actes sud, 1999
  • Antoine Ciosi, « Chants d'une terre - Canti di una terra : 40 ans de chanson corse », Ajaccio : DCL éditions, 2002
  • Jean-Yves Clément, « Le retour de Majorque, Journal de Frédéric Chopin », Paris : Le Passeur, 2022
  • Christophe Corbier, Vassiliki Mavroidakou-Castellana et Panagiota Anagnostou (dir.), « Le voyage des musiciens : deux siècles d'échanges franco-grecs », Paris : In Fine, 2021
  • Jude Duranty, « Zouki : d'ici danse », Matoury (Guyane) : Ibis rouge, 2007
  • Laurent Feneyrou (dir.), « Silences de l'oracle : autour de l'œuvre de Salvatore Sciarrino », Paris : Centre de documentation de la musique contemporaine, 2013
  • Jean-Louis Florentz, « Enchantements et merveilles, aux sources de mon œuvre », Lyon : Symétrie, 2008
  • Emmanuel Genvrin, « Séga Tremblad », Paris : L'Harmattan (Théâtre des 5 continents), 2000
  • Stéphane Héaume, « Dernière valse à Venise », Paris : Serge Safran, 2017
  • Felipe Hernández, « La partition », Lagrasse : Verdier, 2008
  • Adrien Le Bihan, « George Sand, Chopin et le crime de la chartreuse », Espelette : Cherche bruit, 2006
  • Isabelle Leymarie, « Cuba et la musique cubaine », Paris : Ed. du Chêne (Notes de voyage), 1999
  • Yu Sion Live, « Instruments de musique communs aux îles de l'océan Indien : Madagascar, Maurice, La Réunion, Seychelles et Comores », Sainte Marie (La Réunion) : Azalées, 2006
  • Eduardo Manet, « Maestro ! », Paris : Robert Laffont, 2002
  • Catherine Marceline, « Christiane Eda-Pierre : une vie d'excellence », Le Lamentin (Martinique) : Caraib ediprint, 2019
  • Mervyn McLean, « An annotated bibliography of Oceanic music and dance », Auckland (NZ) : Polynesian Society (Memoir, 41), 1977
  • Vladimir Monteiro, « Les musiques du Cap-Vert », Paris : Chandeigne (Série lusitane), 1998
  • Evariste de Parny, « Chansons madécasses » in Océan Indien, textes réunis et présentés par Serge Meitinger et Carpanin Marimoutou, Paris : Omnibus, 1998
  • Stanley Péan, « Jazzman : chroniques et anecdotes autour d'une passion », Montréal : Mémoire d'encrier (En bref), 2006
  • Patrick Révol, « Influence de la musique indonésienne sur la musique française du XXe siècle », Paris : L'Harmattan (Univers musical), 2000
  • Jacqueline Rosemain, « La danse aux Antilles, des rythmes sacrés au zouk », Paris : L'Harmattan 1990
  • Corinne Schneider, « La musique des voyages », Paris : Fayard, 2019
  • Michèle Teysseyre, « Loin de Venise : Vivaldi, Rosalba, Casanova », Paris : Serge Safran, 2016
  • Fernando Trueba, « Chico & Rita » ill. de Javier Mariscal, Paris : Denoël graphic, 2011
  • Richard Wagner, « Ma vie » vol. III — 1850-1864, Paris : Plon, 1912

mise-à-jour : 6 octobre 2022

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