Une tempête
[d'après La Tempête de Shakespeare, adaptation
pour un théâtre nègre] / Aimé Césaire.
- Paris : Éd. du Seuil, 1997. - 91 p. ;
18 cm. - (Points, 344).
ISBN 2-02-031431-2
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NOTE DE L'ÉDITEUR : Adaptée pour un théâtre
nègre, La Tempête
de Shakespeare donne un relief accru aux rapports de Prospero
et de Caliban ; le maître est blanc, l'esclave est
noir. Quant à Ariel l'enchanteur, c'est aussi un esclave,
mulâtre.
Césaire ramasse les cinq
actes en trois, démystifie le merveilleux, dégrise
l'amour. Mais de ce prosaïsme volontaire surgit un nouveau
poème : celui qu'une troupe africaine, livrée
à ce rituel de révolte, ne peut omettre de créer :
le chant de la liberté.
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AIMÉ CÉSAIRE | J'ai essayé de démystifier
La Tempête (…). En relisant la pièce, j'ai
été frappé par le totalitarisme de Prospéro
(…). Je m'insurge lorsque l'on me dit que c'est l'homme du
pardon. Ce qui est essentiel, chez lui, c'est la volonté
de puissance … C'est le monde européen campé
en face du monde magique, du monde primitif.
☐ « Le Noir, cet inconnu », cité par Roger Toumson et Simonne
Henry-Valmore in Aimé Césaire, le nègre
inconsolé, p. 239 | RAPHAËL CONFIANT | En 1971, reprenant un thème
de Shakespeare et le modifiant, le détournant même,
Césaire revisite dans Une tempête la dialectique
du maître et de l'esclave. Sur une île déserte,
le maître blanc Prospéro, l'esclave noir Caliban
et le mulâtre Ariel vont s'affronter dans des dialogues
grinçants, sardoniques par endroits, qui ne laissent place
à aucun message final d'espoir en dépit de ce qu'ont
cru y voir la plupart des césairologues patentés.
L'idée que retient le spectateur est celle d'un Caliban
dégoûté et désespéré
qui veut faire sauter toute l'île à coups de barils
de poudre. Vision plus nihiliste qu'humaniste de toute évidence.
☐ Aimé Césaire,
une traversée paradoxale du siècle, pp. 178-179 | ROMUALD FONKOUA | En
1967, c'est l'histoire des Africains américains qui guide
l'écriture de la dernière pièce [du triptyque
théâtral de Césaire], Une tempête. Dans
un entretien accordé à Claude Stevens, le dramaturge
antillais évoque cette « pièce sur les Noirs
américains » qui doit parler de « tous les
phénomènes qui se passent à l'heure actuelle aux
Etats-Unis ». (…) Ce qui devait s'appeler « Un été chaud » est publié dans les colonnes de la revue Présence africaine en 1968, sous le titre Une tempête, « d'après La Tempête
de Shakespeare ». C'est une libre « adaptation
pour un théâtre nègre ». Aux personnages
du dramaturge anglais, Césaire apporte « deux
précisions supplémentaires » : Caliban
est un « esclave nègre ». Ariel est
« esclave, ethniquement un mulâtre ». A
l'œuvre elle-même, il a ajouté le personnage d'Eshu,
« un dieu-diable nègre ». (…) Césaire
a tenu à camper ses personnages dans l'espace
nord-américain, où la coprésence des races
(Blancs, Noirs, Mulâtres) est inéluctable. Les trois
personnages de la pièce, Caliban, Prospero et Ariel vivent un
drame. Ils ne peuvent se séparer, puisqu'ils appartiennent tous
à la même terre, au même pays, et nourrissent pour
celui-ci des aspirations semblables, malgré leurs
différences raciales. Cette impossible séparation rend
leur vie tragique. Césaire pose ici le problème politique
du rapport entre les colonisés et les colonisateurs, les
maîtres et les esclaves, dans un espace où la
séparation est impossible.
☐ Aimé Césaire, pp. 338-340 |
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EXTRAIT |
CALIBAN
(…) Prospero est un vieux ruffian qui n'a pas de conscience.
ARIEL
Justement,
il faut travailler à lui en donner une. Je ne me bats pas
seulement pour ma liberté, pour notre liberté, mais aussi
pour Prospero, pour qu'une conscience naisse à Prospero.
Aide-moi, Caliban.
CALIBAN
Dis-donc,
mon petit Ariel, des fois, je me demande si tu n'es pas
cinglé ! Que la conscience naisse à Prospero ?
Autant se mettre devant une pierre et attendre qu'il lui pousse des
fleurs !
ARIEL
Tu
me désespères. J'ai souvent fait le rêve exaltant
qu'un jour, Prospero, toi et moi, nous entreprendrions, frères
associés, de bâtir un monde merveilleux, chacun apportant
en contribution ses qualités propres : patience,
vitalité, amour, volonté aussi, et rigueur, sans compter
les quelques bouffées de rêve sans quoi l'humanité
périrait d'asphyxie.
CALIBAN
Tu
n'as rien compris à Prospero. C'est pas un type à
collaborer. C'est un mec qui ne se sent que s'il écrase
quelqu'un. Un écraseur, un broyeur, voilà le genre !
Et tu parles de fraternité !
ARIEL
Alors, que reste-t-il ? La guerre ? Et tu sais qu'à ce jeu-là Prospero est imbattable.
CALIBAN
Mieux
vaut la mort que l'humiliation et l'injustice … D'ailleurs,
de toute manière, le dernier mot m'appartiendra … A
moins qu'il n'appartienne au néant. Le jour où j'aurai le
sentiment que tout est perdu, laisse-moi voler quelques barils de ta
poudre infernale, et cette île, mon bien, mon œuvre, du
haut de l'empyrée où tu aimes planer, tu la verras sauter
dans les airs, avec, je l'espère, Prospero et moi dans les
débris. J'espère que tu goûteras le feu
d'artifice : ce sera signé Caliban.
ARIEL
Chacun
de nous entend son tambour. Tu marches au son du tien. Je marche au son
du mien. Je te souhaite du courage, mon frère.
CALIBAN
Adieu, Ariel, je te souhaite bonne chance, mon frère.
☐
Acte II, Scène 1, pp. 37-38 |
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « Une tempête »
d'après La Tempête de Shakespeare, adaptation
pour un théâtre nègre, Festival d'Hammamet,
été 1969, Paris : Éd. du Seuil (Théâtre,
22), 1969
- « Une tempête »
d'après La Tempête de Shakespeare, adaptation
pour un théâtre nègre, Paris : Éd.
du Seuil (Points, R24), 1980
- « Une tempête » texte établi, annoté et commenté par Albert James Arnold, in Poésie, théâtre, essais et discours, éd.
critique sous la dir. de Albert James Arnold, Paris : CNRS
éditions, Présence africaine (Planète libre, 4),
2013 (pp. 1197-1273)
| - « Cahier d'un retour au pays natal », Paris : Présence africaine, 1995
- « Toussaint-Louverture,
la Révolution française et le problème colonial »,
Paris : Présence africaine, 2004 (rééd.)
- « Ferrements et autres poèmes », Paris : Seuil (Points, P1873), 2008
- « Césaire & Picasso : Corps perdu,
histoire d'une rencontre », éd. présentée et
commentée par Anne Egger, Paris : HC éditions,
2011
- Aimé Césaire, « Poésie, théâtre, essais et discours »
éd. critique sous la dir. de Albert James Arnold, Paris : CNRS éditions,
Présence africaine (Planète libre, 4), 2013
| - Jason
Allen-Paisant, « Théâtre dialectique postcolonial : Aimé Césaire et
Derek Walcott », Paris : Classiques Garnier (Études sur le théâtre et
les arts de la scène, 7), 2017
- David Alliot, « Aimé Césaire, le nègre universel », Gollion (Suisse) : Infolio (Illico), 2008
- David Alliot, « Le communisme est à l'ordre du jour : Aimé Césaire et le PCF », Paris : Pierre Guillaume de Roux, 2013
- Pierre
Bouvier, « Aimé Césaire, Frantz Fanon :
portraits de décolonisés », Paris : Les Belles lettres, 2010
- Raphaël Confiant, « Aimé
Césaire, une traversée paradoxale du siècle »,
Paris : Stock, 1993 ; Paris : Écriture, 2006
- Romuald Fonkoua, « Aimé Césaire », Paris : Perrin, 2010
- Jacques Lacarrière, « Ce que je dois à
Aimé Césaire » avec des dessins
de Wifredo Lam, Paris : Bibliophane-Daniel Radford, 2004
- Pierre Laforgue, « Les Armes miraculeuses d'Aimé Césaire (essai et dossier) », Paris : Gallimard (Foliothèque, 167), 2009
- Christian Lapoussinnière
(dir.), « Aimé Césaire, une pensée
pour le XXIe siècle » actes du colloque organisé
à l'occasion du 90ème anniversaire d'Aimé Césaire
(Fort-de-France, 24-26 juin 2003), Paris : Présence
africaine, 2004
- Patrice Louis, « A, B, C… ésaire :
Aimé Césaire de A à Z »,
Matoury (Guyane) : Ibis rouge, 2003
- Patrice Louis, « Le ruban de la fille du pape, fantaisie historique », Matoury (Guyane) : Ibis Rouge, 2008
- André Lucrèce,
« Conversation
avec ceux de Tropiques »,
Paris : HC Éditions, 2003
- Daniel Maximin, « Césaire & Lam, insolites bâtisseurs », Paris : HC Éditions, 2011
- Daniel Maximin, « Aimé Césaire, frère volcan », Paris : Seuil, 2013
- Roger Toumson et Simonne Henry-Valmorre,
« Aimé Césaire, le nègre inconsolé », Châteauneuf-le-Rouge : Vents d'ailleurs, 2002
- Kora Véron et Thomas A. Hale, « Les écrits d'Aimé
Césaire : biobibliographie commentée (1913-2008) » (2 vol.), Paris :
Honoré Champion (Poétiques et esthétiques XXe-XXIe siècles), 2013
| sur le site « île en île » : dossier Aimé Césaire |
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mise-à-jour : 18 septembre 2017 |
Né à Basse-Pointe en Martinique le 26 juin 1913, Aimé Césaire est mort à Fort-de-France le 17 avril 2008 |
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