Noa Noa / Paul Gauguin ;
éd. établie, annotée et présentée
par Pierre Petit ; gravures réunies et commentées
par Bronwen Nicholson. - Paris : Jean-Jacques Pauvert, 1988.
- 143 p. : ill. ; 24 cm.
ISBN 2-87697-030-9
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Teha'amana est présente
dans de nombreux tableaux de Gauguin ; le plus connu d'entre
eux : « Merahi metua no Tehaamana »,
soit Teha'amana a beaucoup de parents (peint en 1893,
aujourd'hui à l'Art Institute de Chicago). Gauguin raconte,
dans Noa Noa, sa rencontre, son « mariage »
et sa courte vie commune avec Teha'amana. En route autour de
l'île, Gauguin avait fait connaissance de la mère
naturelle puis de la mère adoptive de sa fiancée :
Teha'amana a beaucoup de parents !
Dans « Gauguin
à Tahiti et aux îles Marquises »,
Bengt Danielsson souligne l'opposition, déjà relevée
par Gauguin, entre Teha'amana et Rarahu : « Le
mariage de Gauguin est plus réussi que celui de Loti,
parce que Teha'amana est une pure Tahitienne 1,
alors que Rarahu, héroïne fictive, est le prototype
de la fille évoluée de Papeete ».
Rarahu et Teha'amana ont en commun
de ne pas savoir retenir leurs amoureux d'outre-mer ; mais
la différence majeure que l'on peut établir entre
les deux plus célèbres vahine du dix-neuvième
siècle finissant réside dans leur pouvoir inspirateur
et/ou dans le regard porté sur elles par Loti d'une part,
et par Gauguin d'autre part. Rarahu, sous la plume de Loti, n'est
qu'un aimable cliché ; Teha'amana est vivante : le
portrait qu'en trace Gauguin dans Noa Noa est plus parlant
que les images convenues que véhicule la littérature
« exotique » de l'époque.
Avec Teha'amana, autour d'elle
et sans doute largement grâce à elle, c'est tout
le Tahiti de l'époque que Gauguin fait revivre dans Noa
Noa : non pas la vie étriquée de la petite
colonie française autour de Papeete, mais la vie simple
des districts. En marge de l'idylle, c'est un « témoignage
ethnologique » sans équivalent dans la littérature
de l'époque. 1. | Gauguin
croyait Teha'amana originaire des îles Tonga, mais elle
était née à Rarotonga dans les îles Cook,
à l'ouest de la Polynésie française. |
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JEAN-JO SCEMLA : Des nombreux textes écrits
par Gauguin, seul Noa Noa restitue son expérience
tahitienne sous forme de récit. Il en entreprend la rédaction
à Paris, à l'automne 1893, au retour de son premier
voyage en Océanie. Il veut tout raconter : Tahiti, son
peuple, sa culture, Teha'amana, la femme enfant avec qui il connut
à Mataiea l'une des périodes les plus heureuses
et les plus productives de son séjour, la « trivialité »
des Européens de Papeete, son évolution de l'état
de civilisé à celui de sauvage (oviri), terme qu'il
revendiquait hautement. Il ne doute pas que sa relation intéressera
un large public, aussi, pour en assurer la réussite, confie-t-il
la mise en forme définitive de ses notes à son
ami, le poète symboliste Charles Morice. La perspective
de renouveler le succès du Mariage de Loti le conduit
également à arranger la réalité.
Il ne mentionne jamais ses ennuis de santé ou ses soucis
d'argent pourtant réitérés dans chacune
de ses lettres à Daniel de Monfreid. Il nous fait croire
à sa parfaite connaissance de la langue tahitienne, mais
ses transcriptions sont presque toujours erronées. Il
prétend, enfin, avoir appris les légendes tahitiennes
de Teha'amana alors qu'il les tient de sa lecture de Voyage
aux îles du Grand Océan de J.A. Moerenhout.
Des passages entiers de ce livres sont recopiés dans son
Ancien Culte mahorie. « Quelle religion que
l'ancienne religion océanienne. Quelle merveille !
mon cerveau en claque », écrit-il à
Sérusier le 25 mars 1892, après avoir découvert
l'ouvrage de Moerenhout dans la bibliothèque de Me Goupil
(Segalen consultera le même exemplaire en 1903). Malgré
ses omissions et ses embellissements, Noa Noa apparaît
comme l'un des textes les plus spontanés et les plus authentiques
sur la Polynésie. Entier et direct, comme à son
habitude, Gauguin y livre ses pensées les plus secrètes
et montre une sincère sympathie pour les Tahitiens et
leur culture. D'un style âpre et incisif, parfois télégraphique
comme s'il était pressé, il malmène les
mots non sans révéler un grand sens de la formule.
C'est pourquoi ses premières notes, peu travaillées
et brouillonnes, paraissent plus pertinentes que le texte peaufiné
par Morice et surchargé
de ses redondances lyriques (édité en 1901).
Gauguin remit en 1894 son manuscrit
à Morice qui le travailla et finit une première
version en 1895. Gauguin repartit donc à Tahiti avec son
texte remanié par le poète et le recopia de sa
main en y ajoutant des illustrations. Une copie aujourd'hui déposée
au cabinet des dessins du Louvre a souvent été
confondue avec le manuscrit original, qui avait disparu pendant
un demi-siècle et fut retrouvé en 1951 par le libraire
Jean Loize dans le grenier de son confrère Edmond Sagot
qui l'avait acheté lui-même à Morice en 1908.
Un fac-similé en fut tiré en 1954, puis Jean Loize
transcrivit le texte dans une savante édition en 1966.
Le manuscrit fut ensuite mis aux enchères à Drouot
et acquis par Gilles Artur, conservateur depuis vingt ans du
musée Gauguin à Tahiti. Ce dernier en tira en 1987
un nouveau fac-similé enrichi des illustration réalisées
par Gauguin sur sa copie de 1895. Enfin, Pierre Petit établit
en 1988 une nouvelle version corrigeant les quelques « erreurs
de lecture » et la « ponctuation hésitante »
de Jean Loize. Le manuscrit a depuis été revendu
à la fondation Paul Getty.
☐ Le
Voyage en Polynésie, Anthologie des voyageurs occidentaux
de Cook à Segalen, pp. 1156-1157
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COMPLÉMENT BIBLIOGRAPHIQUE | - « Noa
Noa » manuscrit inédit reproduit en fac-similé
par Daniel Jacomet, Paris : Sagot-Le Garrec, 1954
- « Noa Noa »
éd. Jean Loize, Paris : Club des libraires de France-André
Balland, 1966
- « Noa Noa »
éd. réalisée et présentée
par Gilles Artur, Jean-Pierre Fourcade et Jean-Pierre Zingg,
Papeete & New York : Éd. Avant et après,
1987, 2001
| - « Noa
Noa » [d'après la version publiée par Charles Morice dans La revue blanche en 1897], Paris : Éd.
Mille et une nuits, 1998
- « Noa Noa, voyage de Tahiti »
fac-sim. du manuscrit déposé au Louvre, Paris : Les
Éd. Rmn-Grand Palais, Les Éd. du Musée d'Orsay,
2017
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mise-à-jour : 10 janvier 2018 |

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