Analyse d'une
œuvre : « Conte
d'été »,
Eric Rohmer, 1996 / Martin Barnier et Pierre Beylot. - Paris :
Librairie Vrin, 2011. - 138 p. ; 18 cm. -
(Philosophie
et cinéma).
ISBN
978-2-7116-2386-0
|
Le germe de Conte
d'été
se trouve dans un carnet rempli par le jeune Eric Rohmer. Le film a
été réalisé cinquante ans
plus tard :
il met en scène quelques jours des vacances d'un jeune
homme,
Gaspard, à Dinard — et son
indécision quand il
lui faut choisir entre Léna dont il croit être
amoureux,
Solène qui tente de le séduire et Margot avec qui
il aime
passer du temps.
Ouessant
tient un rôle déterminant dans le film. Gaspard
projette
de s'y rendre avec Léna puis avec Solène puis
avec
Margot. Mais l'île restera un point de fuite à
jamais hors
d'atteinte. Les auteurs du bref essai consacré à
l'analyse de l'œuvre notent que le pouvoir d'attraction de
l'île, qui constitue l'un des fils conducteurs de ce Conte
d'été, combine trois
éléments :
- souvenirs de
lecture d'enfance 1 —
la référence à la
« Bibliothèque verte »
évoque un
ensemble où pourraient figurer Robinson Crusoe,
certains romans de Jules Verne ou l'Île
au trésor de Stevenson ;
- charme
idéalisé d'une Bretagne toujours à
découvrir — « antithèse
du
Midi », terre de
« fraîcheur, de brume et
de sable mouillé » ;
- quête du
lieu propice à une idylle — lieu de l'utopie amoureuse, pour
reprendre la formulation des auteurs de l'essai.
Inaccessible,
Ouessant reste le lieu de cette triple utopie
— jeunesse,
ailleurs et amours impossibles. Le film se referme sur une image
empreinte d'ironie : le bac qui s'éloigne de la
jetée de Dinard, ne vogue pas vers les îles mais
vers
Saint Malo où Gaspard doit prendre le
train …
1. |
En
l'occurence « Le secret des eaux », roman pour la
jeunesse
d'André Savignon qui est également l'auteur des
« Filles de la pluie
». |
|
EXTRAIT |
Aux espaces
fictionnels effectivement traversés par les personnages 1,
s'ajoute un espace où tous désirent aller et
où
aucun ne se rendra que l'on pourrait qualifier de lieu de l'utopie
amoureuse, à savoir Ouessant. L'île du
Finistère
est évoquée à de nombreuses reprises
dans le film,
Gaspard envisageant à chaque fois une partenaire
différente pour s'y rendre. […] Gaspard cite ce
projet de
voyage dans une de ses premières conversations avec Margot
(21
juillet) comme destination d'une ballade qu'il veut entreprendre avec
Léna. Immédiatement, ce voyage devient l'enjeu
d'une
rivalité — encore très
feutrée et
implicite — entre Léna et Margot. […] Lors
du week-end où s'ébauche l'idylle amoureuse avec
Solène (30 juillet), Gaspard évoque Ouessant
quand
Solène lui dit qu'elle connaît très peu
la Bretagne
bien qu'elle y soit née : « Je
parie que tu n'es
jamais allée à Ouessant ».
Solène
s'empare immédiatement de ce qui n'était pas
formellement
une proposition […],
ce qui plonge Gaspard dans l'embarras. Deux jours plus tard, c'est
Léna, qu'il vient de retrouver, qui lui demande quand est-ce
qu'ils vont à Ouessant : le jeune homme se dit
prêt
à y partir dès le lendemain, proposition que
décline Léna. […] Ouessant est aussi
un espace
imaginaire évoqué dans un vieux livre de la
« bibliothèque verte »
dont Gaspard se
révèle également un lecteur
passionné. Mais
le projet s'effondre après la dispute du 3 août et
c'est
un Gaspard désenchanté qui confie à
Margot :
« Finalement, je ne crois pas que ce soit tellement
intéressant d'aller à Ouessant pour un voyage
d'amour ». La réponse de Margot
témoigne de
l'ambiguïté de sa relation avec Gaspard
[…]. Le
couple est enlacé, Margot caresse les bras de Gaspard et lui
dit : « Tu vois, j'ai envie d'aller
à Ouessant.
J'ai envie de prendre l'air, de quitter ce restaurant au moins quelques
jours. J'ai envie de passer quelques journées
entières
avec toi, même si c'est risqué. Mais ce serait
pour toi
qu'un pis-aller, et je ne veux être à aucun prix
un
pis-aller. Plus tard, quand ça n'aura pas marché.
En
hiver : c'est la meilleure saison ». C'est
alors qu'ils
échangent leur baiser le plus passionné, Margot
se met
à pleurer et à rire en même temps.
[…]
Dès le lendemain 5 août, Ouessant devient pour
Gaspard le
symbole de toutes ses indécisions : il se trouve
contraint
d'avouer à Solène qu'il a promis ce voyage
à
Léna, mais aussi à Margot […].
Furieuse de se
trouver « en troisième
position »,
Solène exige de Gaspard qu'il se
décide :
« Quelle tête de mule ! Tu veux y
aller ou
non ? Aller à
Ou-es-sant ? » dit-elle en
détachant les syllabes de ce mot qui est devenu l'enjeu
symbolique de la rivalité entre les trois jeunes femmes.
Ouessant est évoqué une dernière fois
dans la
séquence d'adieu sur l'embarcadère
[…]. Mais
l'occasion est passée, Margot prétexte le retour
prochain
de son copain qui lui-même a très envie d'aller
à
Ouessant à l'automne. Ouessant restera donc le lieu d'une
utopie
amoureuse […] une destination hors d'atteinte, un ailleurs
inaccessible qui nourrit l'imaginaire des personnages et les renvoie
à leurs illusions.
☐ Ouessant, lieu de l'utopie
amoureuse, pp. 58-60
1. |
Dinard, Saint Lunaire, Saint Malo, les bords de la
Rance. |
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LE CINÉMA
SUR LE SITE DES LITTÉRATURES
INSULAIRES
En l'absence d'une sélection suffisamment
développée, la liste qui suit regroupe quelques
unes des
références dispersées sur l'ensemble
du
site. |
- Anne Akrich,
« Il
faut se méfier des hommes nus »,
Paris : Julliard, 2017
- Alain Bergala, « Monika de Ingmar
Bergman », Crisnée
(Belgique) : Yellow now (Côté films, 1),
2005
- Ingmar Bergman, « Monika »,
Paris : L'Avant-scène Cinéma (567,
décembre 2007), 2007
- Ingmar Bergman, « Cris et
chuchotement [suivi de] Persona
[et de] Le lien », Paris : Gallimard
(Folio, 2620), 1994
- Pierre
Butin, Gilles Janin et Vincent Guigueno, « Un film
entouré d'eau : histoire et mémoire de L'or des mers de
Jean Epstein à Hoedic (1932-2005) », in
Pierre Frustier (dir.), Les identités
insulaires face au tourisme, La
Roche-sur-Yon : Siloé, 2007
- Nicolas
Chaudun, « L'île
des enfants perdus », Arles :
Actes sud, 2019
- Nicolas Chemla, « Murnau des ténèbres », Paris : Le Cherche midi (Cobra), 2021
- Jean Epstein, « L'or des mers »,
Baye : La Digitale, 1995
- Jean-Luc Godard, « Les
années Cahiers, 1950 à 1959 »,
Paris : Flammarion (Champs arts, 740), 2007
- Jean-Luc Godard, « Les
années Karina, 1960 à 1967 »,
Paris : Flammarion (Champs arts, 741), 2007
- Vincent Guigueno, « Jean Epstein, cinéaste des
îles : Ouessant, Sein, Hoëdic, Belle-Ile »,
Paris : Jean-Michel Place, 2003
- Bernard
Judge, « Waltzing with Brando : planning a
paradise in
Tahiti », Novato (California) : Oro
editions, 2011
- Andrea de Lauris et Pat Mullen,
« Man of Aran (le film) » in
Dominique Beugras (éd.), Les îles d'Aran, le
voyage vers l'ouest, Paris : La
Bibliothèque (L'Écrivain voyageur), 2000
- Isabelle
Le Corff, « Le
cinéma breizh-îlien :
îles bretonnes et cinéma »
illustrations de
Nono, Morlaix : Skol Vreizh, 2016
- Patrick
Louguet, « Le voyage vagabond au cœur de
l’œuvre cinématographique de Jacques
Rozier (Les
Naufragés de l’île de la tortue, Maine
Océan et Adieu Philippine) »,
in Francis
Marcoin (éd.), Encore Robinson,
Arras :
Université d'Artois, Centre Robinson, 2017
- Marc-Emmanuel
Louvat, « Petite histoire du cinéma en
Polynésie française,
Cinematamua »,
Paris : L'Harmattan, 2016
- Delos W. Lovelace, « King Kong »
d'après une histoire de Edgar Wallace et Merian C. Cooper,
Paris : Librio (Librio, 746), 2005
- Pat Mullen, « Man of Aran »,
Cambridge (Mass.) : The M.I.T. press, 1970
- Friedrich Wilhelm Murnau, « Südseebilder : Texte, Fotos und der Film Tabu »
ausgewählt, bearbeitet und kommentiert von Enno Patalas,
herausgegeben von der Friedrich-Wilhelm-Murnau-Stiftung, Berlin :
Bertz+Fisher, 2005
- Marie-France Pisier, « Le bal du
gouverneur », Paris : Librairie
générale française (Le Livre de poche,
6096), 1985
- Alyssa Goldstein Sepinwall,
« Slave revolt on screen : the Haitian Revolution in film and video
games », Jackson : University press of Mississippi, 2021
- Pierre Sorlin, « L'Avventura
(Michelangelo Antonioni, 1960) »,
Lyon : Aléas (Le Vif du sujet, 2), 2010
- Liv Ullmann, « Devenir »,
Paris : Stock, 1977
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mise-à-jour : 16
septembre 2022 |
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